Concevoir une société quasi antique

Le créateur du monde de Thennla (Jonathan Drake aka Simulacrum) nous offre une nouvelle série d’articles consacrés à la « conception de mondes quasi antiques » pour Mythras. Vous y trouverez une description cohérente des rouages politiques, commerciaux, monétaires et agricoles des différentes sociétés de l’âge de fer inspirées du monde réel, sans oublier l’influence de la magie. Le tout est agrémenté de judicieux conseils pour mettre en musique ces éléments dans un monde fantastique quasi antique de jeu de rôle.

Voici le premier article (original). Vous pouvez retrouvez tous les articles de Simulacrum ici.

Introduction

Cet article donne des conseils pour créer un monde fantastique plausible constitué de cités-États et d’anciens empires, en s’appuyant partiellement sur l’histoire du monde réel tel que nous le connaissons. Si vous cherchez un cadre historique réel, je vous recommande de vous procurer le très détaillé Rome mythique, disponible auprès de d100.fr, ou l’excellent Mediterraneo Mitico, en espagnol, disponible auprès de The Design Mechanism.

En 1982, le magazine White Dwarf publia deux articles sur le thème « Concevoir une société quasi médiévale pour D&D », par Paul Vernon. Ces articles, et ceux qui suivirent dans Town Planner, offraient des conseils sur la manière d’instiller un peu de bon sens dans l’économie du jeu (WD 29 (part. 1) et WD 30 (part. 2). Les articles de Town Planner qui suivirent figurent dans WD 31, 32 et 33). Pourquoi, demandait Vernon, un PNJ embauché accepterait-il le salaire offert dans le Guide du maître de donjon pour porter votre équipement d’aventurier alors que le Manuel du joueur indique qu’une journée entière de travail ne lui permettra d’acheter que quelques pintes de bière ? L’objectif principal des articles de Vernon était cependant bien plus ambitieux : permettre à un maître de jeu d’élaborer un monde fantastique crédible et cohérent, ancré dans certaines réalités historiques de l’Europe du Moyen-Âge. Le cadre initial et implicite des jeux de rôle était le monde pseudo-médiéval de D&D qui, au fil des ans, a puisé dans presque tous les âges de l’histoire à la recherche d’inspiration, et parfois de détails réalistes, dans le but d’étoffer son univers fantastique. Mais le temps qu’il faut pour préparer une partie étant déjà long, la perspective de consacrer encore plus d’heures à la construction du monde pour façonner au mieux le cadre de jeu peut être assez décourageante. Cet article propose donc une sorte de manuel de création et de gestion d’un cadre de jeu fantastique, mais quasi antique et non quasi médiéval. La famille des jeux d100 est tout à fait appropriée pour ce type de cadre, car c’est le jeu RuneQuest qui a proposé pour la première fois de jouer dans des mondes d’atmosphère antique.


De mon point de vue, Mythras est actuellement la Rolls-Royce des jeux fantastiques basés sur le d100. Son cadre par défaut, qui est présenté dans le livre de règles de Mythras, est la cité-État de Méros, dont l’ambiance est résolument antique. La figure emblématique de Méros est la guerrière Anathaym, qui est représentée dans un style classique, avec sa cuirasse musculaire en bronze et son pittoresque casque corinthien. La cité de Méros a également une origine antique : si vous regardez une carte de la ville (disponible ici), vous vous apercevrez qu’il s’agit en fait de la célèbre cité grecque antique de Milet, située sur les côtes de l’actuelle Turquie. Le livre de règles de Mythras ne nous donne qu’un aperçu du monde d’Anathaym, mais la série d’aventures publiées (Sauvez l'honneurLe Destin de MérosLa Malédiction de Sariniya et Le Purificateur de Xamoxis) permet d’en apprendre davantage.

Mon propre ouvrage, Rivages de Korantie, présente un autre cadre quasi antique pour Mythras, et il est très facile d’y intégrer Méros afin de profiter de ses personnages et de ses aventures. Rivages de Korantie décrit une culture composée de dizaines de cités-États, dont Méros pourrait faire partie, et se situe dans un monde plus vaste appelé Thennla. Il existe donc déjà quelques bonnes ressources publiées pour les jeux quasi antiques dans Mythras, mais si vous voulez créer les vôtres, ou développer ce qui existe déjà tout en conservant la dimension antique, cet article vous est destiné.

Je ne traiterai pas de l’âge de bronze. Dans le milieu des jeux de rôle, on désigne couramment tous les cadres de jeu antique par le terme âge de bronze, sans doute pour se différencier des cadres de jeu d’inspiration médiévale. Dans le monde réel, l’âge de bronze ne concerne que les cultures qui ont existé avant le premier millénaire avant notre ère, comme l’Égypte des Pharaons, les Sumériens, les Babyloniens, les Hittites, les Mycéniens et les Minoens (La transition entre l'âge de bronze et l'âge de fer s’est accompli à des dates différente selon les régions et certaines transition ont même eu lieu pendant le premier millénaire avant notre ère. L'Égypte en est un bon exemple.). Au sein de la gamme Mythras, l’excellent Mythic Babylon se situe précisément dans cette période. Mais l’objectif de cette série d’articles est de reproduire les civilisations du premier millénaire avant notre ère et du début du premier millénaire de notre ère, alors que l’âge de bronze remonte déjà à des siècles et que la plupart des gens ne l’entrevoient qu’à travers de vieux mythes et d’anciennes légendes.

Nous nous plaçons donc résolument en plein âge de fer et nous allons aussi nous inspirer du monde méditerranéen, où la Grèce et Rome occupent une place centrale. Et cette époque est bien différente, car le fer a changé le monde. Il faut en effet deux métaux (le cuivre et l’étain) pour fabriquer le bronze, et ceux-ci doivent être acheminés le long de routes commerciales différentes avant de pouvoir être alliés et travaillés. Les sociétés de l’âge du bronze sont donc structurées autour de puissants individus qui facilitent ce commerce et contrôlent la distribution du produit final à leurs favoris et à leurs obligés. Le fer, lui, est abondant, relativement proche et ne nécessite aucun alliage. Et il coûte de moins en moins cher. Une fois que l’on sait générer les températures nécessaires pour l’extraire et le travailler, le fer met la métallurgie à la portée de tous et se prête à la fabrication d’outils, même les plus simples. En raison de sa belle couleur et de sa résistance à la corrosion, le bronze est toutefois toujours préféré pour l’ornementation, notamment pour les armures les plus fastueuses.

L’autre technologie nouvelle qui distingue cette époque de l’âge de bronze qui l’a précédée est l’alphabet, un mode d’écriture extrêmement souple, qui permet d’enregistrer et de partager facilement des informations et des idées dans un grand nombre de langues. Les anciennes écritures cunéiformes et hiéroglyphiques utilisées en Égypte et en Mésopotamie s’éteignent lentement. L’alphabet n’a été inventé qu’une fois, et chaque culture qui s’en est emparée l’a ensuite adapté à différentes formes de lettres et de sons. Comme la ferronnerie, la lecture et l’écriture se répandent et se démocratisent.

Quelles sont donc les caractéristiques d’un monde quasi antique ? Est-ce simplement une esthétique — un rayon différent dans le vaste magasin de costumes de l’histoire (dans lequel vous trouverez de nombreuses tuniques courtes et des manteaux enveloppants, mais certainement pas de pantalons) ? Est-ce une toile de fond pittoresque arborant de jolis temples à piliers, de gracieuses statues, des mers scintillantes et un climat bien plus ensoleillé que les cadres médiévaux fantastiques habituels ? Tout cela peut suffire pour recréer l’ambiance d’un film de sandales et d’épées (sword and sandal) comme Le Choc des Titans (1981), Jason et les Argonautes (1963) ou Troie (2004). Mais si l’on cherche à produire un sentiment plus puissant d’immersion et de dépaysement, une enquête plus approfondie sur les spécificités du cadre quasi antique s'impose, car il a, selon moi, beaucoup plus à offrir que le cadre quasi médiéval. Cela demande beaucoup plus qu’une garde-robe et quelques décors différents, parsemés de noms se terminant par os et us (ou e et a).

Certaines choses sont à peu près identiques à celle du monde médiéval. La civilisation humaine est régie par les produits, les limites et les risques de l’agriculture. Manger suffisamment pour survivre, subvenir aux besoins de sa famille et prendre soin d’elle sont déjà des défis, bien avant que la première horde du Chaos n’arrive pour gâcher votre journée. Les technologies disponibles sont plus ou moins les mêmes qu’à l’époque médiévale, à quelques exceptions près, comme l’absence du collier d’épaule pour les chevaux, des charrues lourdes et des brouettes. L’énergie provient de la combustion du bois et du charbon de bois — les combustibles fossiles n’étant pas utilisés, sauf comme innovations exceptionnelles. Alors que dans l’Europe médiévale le bois était abondant, c’était une ressource rare dans certaines régions de la civilisation antique, où les coûts de l’énergie pouvaient donc être très élevés. Mais ce qui différencie véritablement cette époque de l’époque précédente et de la suivante, c’est la manière dont les gens s’organisent.


Dans l’histoire réelle, le premier millénaire avant notre ère voit naître sur le pourtour méditerranéen des centaines de cités-États indépendantes, à la faveur d’une période de croissance et de développement prolongés. De nombreuses personnes purent s’installer de manière permanente à proximité les unes des autres, le nombre et la taille des cellules familiales augmentèrent, les villes habitées de manière permanente devinrent des centres commerciaux, religieux, politiques et militaires habituels. S’il est une caractéristique à retenir pour un cadre de jeu quasi antique, c’est bien celle-ci : les aventuriers, et les PNJ avec lesquels ils interagissent, s’identifient à une terre, une lignée, une tribu ou un peuple particulier. La différence essentielle est maintenant de savoir si vous êtes citoyen, et si c’est le cas, de quelle cité (Bien entendu, dans les régions couvertes par cet article, certains peuples n'ont jamais adhéré à la formule de la cité-État et ont plutôt formé des ligues de communautés dispersées qui partageaient une ascendance (réelle ou imaginaire), des coutumes, une langue et des cultes communs). Une cité est généralement constituée de maisons et de bâtiments publics aux toits de tuiles, avec un ensemble de temples à piliers en son cœur, de quelques grandes places où les gens se rencontrent, et d’un beau mur d’enceinte encerclant le tout.
Les films et séries fantastiques montrent souvent des plans panoramiques d’impressionnantes cités fortifiées trônant au beau milieu d’une région apparemment sauvage. À bien y réfléchir, c’est une situation assez irréaliste, mais est-ce vraiment très grave ? Somme toute, un maître de jeu peut se concentrer sur l’histoire et l’action de sa campagne sans trop s’occuper du reste, comme dans ce type de film. Mais si un joueur ou un maître de jeu souhaite plonger dans les rouages du monde, des notions de base sur le fonctionnement et l’évolution de ce monde lui seront très utiles. Un maître de jeu qui comprend ce que signifie le statut social, et, peut-être plus important encore, comment il peut évoluer, pourra enraciner ses aventuriers dans leur communauté. Il saura comment évaluer correctement les niveaux de récompense : ce que les aventuriers peuvent acheter avec leur butin et à quel prix. S’il sait à quel rythme un personnage ou un PNJ dépense son argent jusqu’à la prochaine aventure, il saura quand il devra trouver un travail rémunéré et combien il pourra gagner. Si les aventuriers réussissent à acquérir un lopin de terre, un domaine seigneurial ou même un royaume, quels seront les défis et les opportunités qui s’offrent à eux ? S’interroger sur ce que la majorité des habitants de ce monde passent leur temps à faire peut être très éclairant. Déterminer leurs priorités et leurs préoccupations principales permet non seulement de rendre le monde plus vivant, mais cela fournit aussi de nombreuses accroches de scénarios ou des motivations pour l’intrigue d’une campagne — et surtout, cela vous aidera à brosser un tableau sémillant de votre monde.

Une héroïne fait ses emplettes

Mon point de départ est Anathaym, l’héroïne en devenir dont l’entrée dans la vie active sert d’exemple au livre de règles de Mythras. En suivant la préparation d’Anathaym pour l’aventure, nous découvrons que sa panoplie classique d’« hoplite » coûte environ 820 pa (pièces d’argent) pour les éléments de base que sont la lance (20), l’indispensable bouclier (300) et le casque (500). Le reste de son armure, qui peut être considéré comme un luxe, mais qui, compte tenu des origines aristocratiques d’Anathaym, convient parfaitement à une combattante de première ligne, coûte 3 000 pa supplémentaires. Son épée est affichée à un prix catalogue de 100 pa, mais la pauvre Anathaym est dépassée par les négociations avec le fabricant d’épées et paie 125 pa. Le bel équipement dont elle est parée sur la couverture du livre de règles s’élève donc à un peu moins de 4 000 pa. Selon le chapitre Économie de ce même livre de règles, ce chiffre équivaut aux revenus d’un artisan qualifié possédant sa propre entreprise pendant environ deux ans et demi (L'exemple donné est celui d'un boulanger à son compte qui peut espèrer gagner deux fois le coût minimum d'entretien indiqué pour sa classe sociale (cf. Livre de règles de Mythras p.55)). En termes modernes, si l’on prend comme base le salaire médian américain, cela équivaut à environ 100 000 dollars, ou à environ 82 500 euros pour l’Union européenne (Basé sur les données du recensement de 2021. Ces chiffres correspondent au revenu moyen (États-Unis) et à la moyenne (UE) des individus, et non des ménages. Notre boulanger est probablement au-dessus de la moyenne). Il se peut qu’à Méros les matières premières nécessaires soient très, très chères, ou que les artisans travaillent très lentement et facturent leur service à la journée. Pour être juste, précisons que lorsque la panoplie d’Anathaym (bouclier d’hoplite, casque corinthien et armure de bronze) est apparue dans la Grèce antique (vers le VIIe siècle avant notre ère), elle fut pendant un certain temps l’apanage de l’élite des guerriers de la noblesse.




Si vous construisez un monde quasi antique, l’un des premiers tests consiste à vérifier si les gens ordinaires sont capables de s’équiper pour servir leur cité dans le cadre de la milice de citoyens-soldats. Il ne s’agit pas d’une bande d’amateurs qui se rassemblent pour défendre leur maison pendant que l’armée fait le vrai travail. Ils sont l’armée. À bien des égards, c’est sur cette milice que repose l’ensemble du système social. Certains sont si pauvres qu’ils ne peuvent participer qu’à la ligne de tirailleurs, armés d’une fronde ou d’un javelot, voire d’un simple caillou, ou ramer dans les galères de guerre, équipés seulement d’un coussin pour réduire les frottements. Mais dans les cités-États de l’Antiquité, la plupart des gens ordinaires qui gagnent leur vie — ceux qui possèdent une petite ferme ou exercent une activité d’artisan ou d’ouvrier qualifié — devraient pouvoir prendre place dans la « phalange », et pour cela, il faut qu’ils puissent apporter une lance et un bouclier d’hoplite. Si nous mettons de côté l’extravagance aristocratique d’Anathaym (que les anciens connaissaient aussi), il n’en reste pas moins qu’en utilisant les listes de prix du livre de règles de Mythras, un citoyen ordinaire répondant à l’appel de sa ville doit débourser au moins 320 pa pour acquérir les équipements minimaux, et n’a toujours ni casque ni armure. Les données historiques suggèrent que ces coûts sont largement exagérés et qu’en fait, une panoplie de base (y compris un casque) devrait coûter à un citoyen moyen environ un mois de revenu.

C’est le genre de question qui m’a poussé à explorer la réalité des économies antiques et leur impact sur la conception d’un cadre de jeu fantastique quasi antique. C’est pourquoi la liste de prix de Rivages de Korantie est très différente, et incompatible avec celle du livre de règles de Mythras. Mythras n’est pas une simulation, et il n’est pas inhabituel que les armes et les armures soient très chères dans les jeux de rôle fantastiques, car ce sont des éléments importants de la progression des personnages-joueurs vers des défis plus importants et plus dangereux. Il s’agit peut-être aussi d’un héritage de l’époque quasi médiévale, où s’équiper dans le style d’un chevalier était quelque chose d’inabordable pour le commun des mortels. Mais il s’agit ici d’explorer les spécificités d’un cadre de jeu quasi antique et, ce faisant, d’essayer de mettre en place une économie qui fonctionne. J’ai donc cherché des réponses dans le monde réel. Face à un ensemble disparate de données enfouies dans un grand nombre de publications contemporaines, concernant des siècles d’histoire et des contextes très différents, j’ai fait de mon mieux pour dépasser le simple coup d’œil et bâtir une vision des choses à partir d’hypothèses de base et d’un raisonnement. Il m’est vite apparu qu’étant donné l’ampleur des variations temporelles et spatiales des systèmes monétaires et des coûts antiques, il était nécessaire de disposer d’un étalon. Dans l’article de White Dwarf mentionné plus haut, Paul Vernon a choisi comme étalon le prix de la bière. De mon côté, comme j’explorais un monde qui n’accordait que peu d’attention à la bière, quelle qu’elle soit, le prix des céréales s’est rapidement imposé comme l’outil le plus utile.

L’étalon céréale

Le peck est une mesure typique pour l’achat et la vente de céréales. Il correspond à l’hecteus attique (athénien) ou au modius romain. Il s’agit d’une mesure sèche de volume d’un peu moins de 9 litres, qui équivaut à environ 6,67 kg de blé et à un peu moins de céréales plus légères, comme l’orge. Quatre pecks donnent un boisseau — sauf si vous êtes romain (trois suffisent) ou grec (il en faut six). Le peck reste donc une mesure approximative, mais elle est quasi universelle, et les céréales sont la denrée essentielle des économies antiques. En comparant le prix d’un peck de céréales au prix des autres biens et services au cours de la même période historique, nous pouvons calibrer des listes de prix. Pour cela, fixons le prix d’un peck de céréales à 1 pièce d’argent (pa). Ce peck permet de produire 16 à 20 miches de pain, dont j’établis le prix à 1 pièce de bronze (pb) chacune. Une pièce d’argent correspond également au salaire journalier d’un ouvrier, ce qui permet de relier le prix de la nourriture au coût de la main-d’œuvre et aux revenus.

Monde réel vs monde fantastique

Les sociétés antiques étant le produit des hommes et de leur environnement, il est important de rappeler quelques hypothèses de base. (Si certaines de ces hypothèses diffèrent de celles de votre monde imaginaire, il sera intéressant d’examiner quelles sont les répercussions sur les informations et les règles suggérées ici.)

1) Le monde quasi antique que nous considérons ici est essentiellement un monde méditerranéen. Il fait chaud et sec en été, et les pluies tombent surtout en hiver et durent jusqu’à la période des récoltes à la mi-année. En raison du relief montagneux et des côtes accidentées, les villes se développent comme des communautés indépendantes délimitées par des frontières naturelles claires, mais celles-ci limitent aussi leur extension et leur capacité à se développer. La mer relie les populations sur de longues distances et les marchandises, les personnes, les nouvelles et les idées se répandent loin et vite. Il en va de même pour les pirates et les armées d’invasion. Dans l’histoire, ces connexions avec des civilisations millénaires telles que l’Égypte ou Babylone ont été un puissant stimulant de la croissance et du développement.

2) Je suppose que l’année est d’environ 360 jours. L’agriculture exploite des cultures comparables à celles du monde réel et les rendements sont similaires. Les pratiques de jachère simple, qui consistent à laisser certains champs non cultivés chaque année pour permettre à la terre de retrouver sa fertilité, sont courantes, et la rotation des cultures n’est pas inconnue. Bien que la nourriture disponible comprenne une vaste variété de céréales, d’huiles, de fruits, de légumes, de viandes, de poissons, etc., la grande majorité des calories consommées provient des céréales, sous une forme ou une autre.

3) Les éléments magiques ou surnaturels n’affectent pas matériellement le rendement des récoltes, la mortalité infantile, le rôle des hommes et des femmes, la dépendance aux précipitations, l’apparition de phénomènes naturels, tels que la famine, la sécheresse et la maladie, les conditions météorologiques extrêmes et le changement climatique (nous verrons plus tard comment la magie est susceptible d’altérer les choses de manière importante).

Cet article puise ses informations dans un millier d’années d’histoire et diverses régions géographiques, à la recherche de caractéristiques communes, et en faisant des généralisations grossières. Il existe beaucoup de bons livres dans lesquels vous pourrez approfondir votre connaissance de l’économie antique si vous le souhaitez, et qui vous aideront à modéliser une époque ou un lieu spécifiques, comme l’Athènes classique, l’Alexandrie hellénistique ou la Rome du milieu de la République. Certains de ces ouvrages, que j’ai trouvés particulièrement utiles, sont énumérés dans une annexe.

Ères de l’Antiquité

Bien que les régions et les territoires antiques se soient développés à des rythmes différents, le premier millénaire avant notre ère est marqué par la croissance constante des populations, l’émergence des villes et la complexification du système économique et social. Les descriptions qui suivent sont très schématiques et très générales, mais avoir une bonne idée des principales phases identifiées par les historiens vous aidera à trier, à ajuster et à personnaliser les suggestions données dans cette série d’articles. Elles ne sont pas tout à fait exactes à toutes les époques, mais fournissent des orientations générales utiles.

Temps anciens

Avant que les hommes n’écrivent des histoires ou ne conservent des archives, le monde était une scène pour des héros de haute naissance, des hommes et des femmes dont la lignée remontait jusqu’aux dieux. Ces héros étaient des seigneurs à part entière et régnaient sur des royaumes ou des chefferies, grands ou petits — certains si petits qu’ils n’étaient qu’un ensemble de villages. Ils se battaient, raflaient le bétail, festoyaient, buvaient, et se reposaient en compagnie d’autres héros en écoutant les récits de leurs exploits chantés par des bardes. Les chants épiques dont ils étaient les héros leur conféraient une forme d’immortalité. Ils s’affrontaient aussi dans des jeux de prouesses physiques ou faisaient la course sur des chars tirés par des attelages de chevaux magnifiques. Le moment venu, ils se réunissaient pour débattre et décider d’affaires importantes ou pour rendre la justice devant les gens du peuple assemblés, dont la seule option était d’applaudir (ou de grommeler discrètement) aux belles paroles prononcées avec une éloquence toute seigneuriale. Ils s’aventuraient aussi hors de leurs terres en quête de gloire, pour faire des razzias, des pillages et même du commerce. Leur richesse se mesurait en troupeaux, en parcelles cultivables, en fer, en bronze, en argent et en or, mais aussi en trésors chargés d’histoires et en artéfacts de facture exquise, dont la valeur était accrue par le pedigree de leurs fabricants et de leurs anciens propriétaires. À leur mort, ils étaient brûlés sur de grands bûchers funéraires au milieu de chants, de festins et de sacrifices, parfois humains. Certains resteront à jamais dans les mémoires comme fondateurs de villes ou de nations, mais beaucoup périront en répondant à l’appel de la guerre pour le plaisir de la guerre, les prouesses au combat étant l’expression la plus aboutie de leur excellence aristocratique. Quelques privilégiés se verraient offrir un siège parmi les dieux parce qu’ils surpassaient de loin les autres mortels. Cette époque est révolue, mais ces héros ne sont pas oubliés…

Période archaïque

Type de culture : Barbare


L’âge des héros n’est plus qu’une légende, mais les riches aristocrates détiennent toujours le pouvoir et rêvent encore de ressembler aux héros d’antan. Ils dînent dans des salles décorées d’armes et d’armures, écoutent des poèmes épiques et se racontent les exploits héroïques de leurs ancêtres. Comme ils sont assez riches pour ne pas avoir à se préoccuper des tâches communes qui affligent les classes inférieures, comme le travail dans les champs ou la recherche du prochain repas, ils savent que leur position dans la société les oblige à diriger, en temps de guerre comme en période de paix, à se battre au premier rang et à décider ce qu’il convient de faire en toute circonstance.

Cependant, leur statut n’a maintenant pas que des avantages. Les plus nombreux, les pauvres, les petites gens, tous ceux dénués d’une ascendance célèbre, ont de plus en plus leur mot à dire. Et beaucoup d’entre eux possèdent des lances. Le monde est aussi plus vaste. Le héros errant avec son petit entourage de serviteurs armés ne suscite plus que de simples histoires d’aventures. Désormais, faire la guerre, bâtir la ville, régner sur un pays devient une entreprise coopérative où les riches et les pauvres doivent travailler ensemble. Les villes et leurs habitants dépassent maintenant souvent les intérêts partisans d’une famille aristocratique, d’une tribu ou d’une faction. Le besoin d’un ensemble de règles formelles qui permettent à chacun de s’entendre se fait de plus en plus sentir.

C’est là qu’interviennent les législateurs. Ces sages, qui sont parfois des locaux, mais plus souvent des consultants venus de l’extérieur, donnent à la ville une constitution, c’est-à-dire un ensemble de lois en vertu desquelles tous les habitants connaissent leurs droits et leur statut. Les législateurs visent l’« équilibre », ce qui, à cette époque, signifie généralement une forme d’oligarchie, où les postes de dirigeants sont dédiés aux riches aristocrates et le droit d’exprimer un avis politique est réservé à ceux qui disposent d’un équipement de combat leur permettant de défendre leurs biens et leurs droits. Une fois que ces nouvelles lois sont établies, elles peuvent être écrites grâce à l’alphabet, et même gravées dans la pierre pour être affichées en public. Désormais, les puissants ne peuvent plus utiliser les anciennes lois et coutumes non écrites à leur avantage lorsqu’ils siègent, car même les gens ordinaires peuvent désormais se référer aux lois pour eux-mêmes. La justice devient ainsi accessible à tous.

Parfois, l’un des aristocrates de la ville réussit à s’emparer du pouvoir pour lui seul, généralement avec la connivence d’une partie significative de la population qui l’aide à écarter ceux qui se mettent en travers de son chemin. Un autocrate peut alors se proclamer roi. Le titre de roi existe encore dans certains endroits, mais ces « rois » sont généralement élus à vie, se cantonnent aux tâches cérémonielles et rituelles et ne gouvernent pas réellement. Un autocrate qui exerce réellement le pouvoir est souvent appelé tyran, qu’il gouverne avec bienveillance et justice ou de manière tyrannique. Si le règne d’un tyran est souvent de courte durée (et perdure rarement plus d’une génération), il peut toutefois apporter des changements durables à la ville en brisant les vieilles habitudes conservatrices et en remplaçant les coutumes désuètes.

Les villes sont modestes : leur population ne dépasse guère 5 000 habitants, à peine plus qu’un village selon les normes modernes. Certaines villes ne sont d’ailleurs rien d’autre que cela : un regroupement de villages, qui partagent peut-être quelques sanctuaires et un lieu commun pour les rassemblements publics. Les remparts englobent idéalement l’ensemble de l’agglomération, mais se contentent souvent de protéger les principaux temples et sanctuaires, situés sur un terrain élevé, facilement défendable et bien en vue. Il existe encore des fermes, des hameaux et des villages isolés dans la campagne, mais de beaucoup de personnes font maintenant la navette tous les jours entre la ville où ils habitent et les champs où ils travaillent.

Les gens sont encore mobiles et peuvent déménager dans une nouvelle ville si les choses ne fonctionnent pas là dans celle où ils sont actuellement. Parfois, si les choses se gâtent vraiment ou si une bonne occasion se présente, la ville entière peut se déplacer en masse et se refonder sur un nouveau site ou fusionner avec une autre ville pour former un ensemble plus grand. Les entrepreneurs et les aventuriers partent à la découverte du monde, tissent de nouveaux liens commerciaux et établissent des comptoirs et des colonies dans des pays étrangers, qui finiront par devenir un jour des villes à part entière.

La population se divise en classes sociales selon les biens qu’une personne possède ou selon ce que sa terre peut produire, qui est généralement mesuré en quantité de céréales, de vin et d’huile. Cela détermine à la fois le statut social, mais aussi ce que la communauté attend de cette personne, et en particulier son rôle dans la défense de la ville. Les hommes libres qui n’ont pas les moyens de se parer d’une belle armure garnissent les rangs arrière, tandis que les pauvres servent de troupes de tirailleurs.

Certains aristocrates possèdent encore leurs propres armées et flottes privées constituées des membres de leur famille élargie et de leurs serviteurs. Ils mettent cette force au service de la ville, mais peuvent aussi louer leurs services à des puissances étrangères, emmener leurs partisans prendre le contrôle d’une autre ville ou en fonder une nouvelle quelque part sur un territoire qu’ils ont conquis par la force des lances. Rien n’est plus susceptible de déclencher un conflit que l’appétit pour de nouvelles terres. Les villes tentent souvent d’intégrer de nouvelles terres à leur domaine et parfois ceux qui vivent là résistent ; ou bien une autre ville revendique le même site et les citoyens des camps opposés s’alignent pour se battre. Même en temps de paix, certains citoyens (généralement les aristocrates) sont armés en public et portent une épée ou s’appuient sur une lance en guise de bâton.

Les esclaves sont peu nombreux et principalement attachés aux ménages aristocratiques et aux fermiers aisés. L’argent est encore souvent représenté par le simple poids des métaux, mais les pièces frappées deviennent de plus en plus courantes. Le fer est abondant, mais les aristocrates continuent de se vêtir d’armures de bronze voyantes lorsqu’ils partent en guerre.

Période classique

Type de culture : Civilisé


Il existe encore des lieux reculés où les coutumes du monde archaïque sont toujours d’actualité. Si la plupart des villes comptent 5 000 habitants ou moins, certaines se sont développées rapidement et une poignée d’entre elles comptent maintenant des dizaines de milliers d’habitants. Les murs d’enceinte englobent des temples et des places, des monuments et des statues, des théâtres, des salles de réunion pour le conseil de la cité et les dirigeants de la ville, ainsi qu’un espace ouvert où les citoyens peuvent se rassembler. Le port d’armes en public est strictement interdit, la ville entière étant en quelque sorte un lieu sacré qui ne doit pas être violé, ni même menacé par la violence (mais, bien sûr, cela arrive parfois).

Certaines cités sont désormais trop peuplées pour que leurs terres suffisent à alimenter toute leur population et elles dépendent de plus en plus du commerce, ou de l’empire, pour subvenir à leurs besoins. Les marchandises sont acheminées sur des distances de plus en plus grandes et dans des volumes de plus en plus importants. Toute cité qui se respecte frappe des pièces de monnaie à son nom. Celles qui ont accès à des mines d’or ou d’argent peuvent même littéralement créer l’argent dont elles ont besoin.

Une partie substantielle de la population n’est plus attachée à la terre, mais exerce des métiers spécialisés dans la cité. Les esclaves représentent une proportion de plus en plus importante de la population, tout comme les marchands itinérants et les artisans spécialisés, qui s’installent là où ils trouvent les meilleurs débouchés. Des artistes et des architectes renommés érigent des bâtiments publics, des monuments et des temples somptueux, dont certains deviennent des merveilles éternelles caractéristiques de leur époque. L’alphabétisation se généralise, et même les plus modestes peuvent se permettre d’envoyer leurs enfants chez un enseignant pour qu’ils apprennent à lire et à écrire.

Le peuple est souverain. La citoyenneté est un privilège qui s’accompagne du droit de posséder des biens à l’intérieur de la ville et sur son territoire. On attend des citoyens qu’ils honorent les dieux civiques et qu’ils se rangent aux côtés de leurs concitoyens pour combattre les ennemis de la cité. La quantité de terres et de biens possédée a toujours une incidence sur le statut social — sauf dans les nouvelles démocraties où toute personne qui n’est pas une femme, un esclave ou un étranger (donc pas exactement la majorité de la population) bénéficie de l’égalité devant la loi, quelle que soit sa richesse (ou sa pauvreté). Seuls les étrangers paient des impôts, mais les riches sont censés assumer la plupart des coûts de l’État sur leurs propres deniers. Ils peuvent par exemple payer la construction et l’équipement d’un navire de guerre, la construction d’un temple, l’entretien d’un tronçon des remparts de la ville ou l’organisation de fêtes et de festivals publics somptueux. En retour, ces riches bénéficient de l’admiration, et probablement des votes, de leurs concitoyens reconnaissants. Cette prodigalité ostentatoire des riches est inscrite dans le système. Il s’agit d’une obligation, et non d’un simple geste de générosité.

L’esclavage se développe, en particulier là où les libertés citoyennes empêchent les riches d’exploiter les pauvres autant qu’ils le voudraient. En outre, les guerres incessantes viennent accroitre la réserve de main-d’œuvre humaine captive disponible. Les domaines ruraux s’agrandissent à mesure que les aristocrates amassent de vastes parcelles de terre et ils recourent de plus en plus aux esclaves pour les travailler. Certains s’enrichissent grâce au commerce, en créant des fabriques qui produisent des objets dont tous les citoyens ont besoin (comme des boucliers pour le service de la milice).



Grâce à cet argent frais, ceux qui n’ont pas de héros légendaires dans leur généalogie peuvent néanmoins s’élever dans la société. Cela irrite très souvent les aristocrates de la vieille école, mais l’argent nouveau ne se distingue pas de l’argent ancien. Parmi les citoyens, la proportion de la population directement impliquée dans l’agriculture est en baisse. Les citoyens sans terre ont désormais davantage de possibilités de gagner leur vie dans le commerce. Les cités se reconnaissent toutes comme semblables, mais pas comme égales. Chaque cité s’imagine spéciale d’une certaine manière, la plus belle ou la meilleure — si ce n’est par la taille ou la richesse, c’est par le mode de vie. Les cités sont souvent dans une forme ou une autre de conflit : guerre ouverte ; alternance interminable de raids et de contre-raids ; compétitions sportives, moins violentes, mais très disputées ; ou concurrence pour ériger les plus beaux monuments sur les sites religieux internationaux les plus reconnus. Une cité peut encourager les troubles civils dans une autre en soutenant une faction politique qu’elle juge sympathique ou conforme à ses intérêts (il s’agit généralement de soutenir les oligarques contre les démocrates, ou vice versa). Seul un grand danger extérieur menaçant tout le monde force les gens à renoncer à leurs désaccords. Cela se produit, par exemple, lorsqu’un individu parvient à contraindre des cités à conclure des traités inéquitables en tant qu’« alliés » sous prétexte de constituer une « coalition », avant de se lancer dans une politique de conquêtes et de finir par appeler cela un empire.

La guerre est l’apanage des milices de citoyens, souvent dirigées par des généraux élus. Elle prend de plus en plus d’ampleur, les grandes villes mobilisant leur population pour la guerre, et les villes plus petites se rangeant à leurs côtés en tant qu’alliées. Les batailles peuvent désormais mettre en scène des dizaines de milliers de combattants au lieu de quelques milliers ou quelques centaines. Les flottes de guerre sont parfois composées de centaines de galères mues par les citoyens plus pauvres (des rameurs qui peuvent également servir de troupes légères). Elles permettent à certaines cités de projeter leur puissance à l’étranger, de contrôler les routes commerciales et même de bâtir des empires, mais surtout de s’emparer de terres fertiles permettant de produire davantage de nourriture pour la mère patrie.

Période classique tardive et période hellénistique

Le monde classique est encore bien vivant, mais il est progressivement emporté par une ère de croissance rapide, de changements violents, d’internationalisation, et par l’apparition des conquérants bâtisseurs d’empires. C’est l’ère de la démesure. Quelques villes gigantesques comptent plusieurs centaines de milliers d’habitants. Partout dans le monde des cités-États, les gens lisent la même littérature, portent les mêmes vêtements et parlent un dialecte de plus en plus commun qui leur confère un air cosmopolite et résolument urbain. Ce dialecte sert aussi de « langue commune » pour les classes éduquées des peuples étrangers.

Les villes sont désormais ornées de temples majestueux, somptueusement aménagés et magnifiquement décorés, qui attirent les touristes et les pèlerins de tous horizons. D’immenses ports sont construits pour charger ou débarquer de vastes vaisseaux de transports de céréales et d’énormes navires de guerre. Avec ses monuments impressionnants, ses statues qui dominent la cité, ses merveilles de génie civil (des remparts aux réseaux d’égouts), chaque métropole revendique le titre de ville la plus sophistiquée, la plus prestigieuse, la plus riche et la plus avancée qui soit. De somptueuses tombes abritent les dépouilles mortelles de personnalités exceptionnelles, dont certaines commencent à être vénérées comme des dieux.

Mais à la périphérie du monde des cités-États, de nouveaux acteurs inattendus se sont eux aussi développés très rapidement et sont désormais prêts non seulement à devenir membres du club des cités-États, mais aussi d’en prendre la tête. Et ils n’hésiteront pas à réécrire les règles du jeu. Parce qu’ils apportent des mentalités différentes à la table des discussions (notamment un intérêt persistant pour la domination du monde), ils choisiront tous les attributs d’une vie sophistiquée dont ils ont besoin, tout en consacrant de vastes ressources économiques et humaines à leur armée. En offrant des emplois rémunérés à des soldats-mercenaires, à des ingénieurs et à des généraux de haut niveau, ils disposent de forces militaires qui surpassent en nombre et en capacité les milices citoyennes maintenant dépassées. La modernité est la professionnalisation : les armées permanentes dirigées par des généraux tout aussi professionnels sont très motivées par les perspectives de conquêtes et de pillage (deux activités qui paient bien plus que le salaire de base).

Une nouvelle génération de rois et de tyrans autoproclamés fonde de nouvelles colonies portant généralement leur nom et force les gens à s’y installer, créant ainsi d’autres villes surdimensionnées, apparemment du jour au lendemain. Le monde se remplit de royaumes et d’empires, et les cités-États sont maintenant absorbées par ces derniers ou coincées entre des puissances rivales. L’époque est périlleuse : des centaines de milliers de personnes sont déracinées, réduites en esclavage et jetées sur le marché international des esclaves, tandis que les soldats victorieux ramènent de vastes quantités de trésors de guerre vers l’endroit qu’ils nomment (ou qu’ils ont l’intention de nommer) leur foyer. Les riches trouvent les moyens de s’approprier la plus grande part du produit des conquêtes et amassent des propriétés foncières démesurées : des maisons palatiales dans les meilleurs quartiers de la ville ou des résidences à la dernière mode dans les collines ou au bord de la mer pour y passer les mois d’été.

Dans ce nouveau monde internationalisé, il existe de nombreuses façons de faire fortune qui ne dépendent pas simplement de l’héritage d’un bien immobilier. Les métiers spécialisés prolifèrent, tout comme le commerce d’esclaves, la collecte de taxes et d’impôts, la création de routes commerciales à longue distance vers des lieux qui étaient auparavant considérés comme légendaires. Pour les classes dirigeantes qui ne souhaitent pas rejoindre le corps des officiers de la dernière armée de conquête, il existe désormais une gamme extrêmement diversifiée de carrières intellectuelles : avocats, philosophes, historiens, mathématiciens, politiciens locaux, ou avec beaucoup de chance, le poste très lucratif de gouverneur d’une province conquise.

Période impériale

Les cités-États ne sont plus maîtresses de leur destin. Une puissance impériale irrésistible a conquis, détruis, ou absorbé presque toutes les villes, pour former un vaste empire qui regroupe des millions de personnes. Seuls les déserts, les océans, les chaînes de montagnes et les forêts impénétrables freinent son expansion. L’Empire est suffisamment grand pour encaisser les catastrophes naturelles, les catastrophes causées par l’homme et les catastrophes d’origine divine, parce qu’aucune d’entre elles ne l’affecte presque jamais dans sa totalité. À l’inverse, la création d’un vaste espace politique unique et connecté implique non seulement que les marchandises et les personnes, mais aussi les nouvelles idées, les nouveaux cultes religieux et les fléaux de plus en plus mortels, empruntent allègrement les routes, les voies maritimes et les itinéraires commerciaux mis à leur disposition. Dans tout l’empire, des régions entières se spécialisent désormais dans des industries et des produits spécifiques, du bois de construction au poisson mariné, et approvisionnent non seulement la capitale impériale, mais aussi toutes les autres provinces, dans lesquelles ces produits sont de plus en plus en vogue et demandés. Les modes se propagent dans les provinces, où les élites provinciales imitent le style de vie du cœur impérial. Cependant, tout le monde n’en profite pas. Certaines régions, autrefois célébrées pour leur prospérité et leur population florissante, ont perdu du terrain, car les gens, le commerce et les richesses sont désormais attirés ailleurs, ne leur laissant que l’ombre de leur gloire d’antan.



Au cœur de l’Empire se trouve une extraordinaire mégalopole, la plus grande que l’on n’a jamais vue, et qui le sera encore pendant des siècles. La capitale aspire, de gré ou de force, des populations venues de tout l’Empire et même au-delà. Elle consomme d’énormes quantités de céréales pour nourrir ses habitants affamés, et reçoit des marchandises et des produits de luxe de toutes sortes provenant des quatre coins de l’Empire, et même de contrées mystérieuses situées de l’autre côté de l’océan. Elle est suffisamment grande pour que des régions et des industries entières s’emploient à répondre à la demande insatiable de la capitale. La population qui s’agglutine dans les rues et les immeubles qui les surplombent apparait comme une multitude diverse, palpitante, dangereuse, glorieuse et sordide. La maladie est omniprésente et fauche les nouveaux arrivants inconscients, bien plus que les voyous et les vagabonds qui hantent la nuit.

Il est difficile de trouver un travail rémunéré si l’on n’est pas dans les petits papiers de l’une des familles riches, cependant l’empereur s’occupe des gens du peuple en leur offrant de la nourriture, des cadeaux et des pièces de monnaie. Il les divertit et les impressionne avec des spectacles publics extraordinaires et extravagants : des courses de chars palpitantes, des affrontements sportifs sanguinaires et brutaux et des exhibitions exotiques de ce que l’on trouve aux confins de l’Empire. La population se divertit aussi en observant le feuilleton des frasques, brutales et meurtrières, de la famille et de la cour impériales, et de ses épisodes palpitants, bien que répétitifs, qui voient presque toujours le corps mutilé d’un personnage important jeté sur les marches du palais.

Les provinces sont souvent des endroits calmes et paisibles, qui continuent à vivre comme ils l’ont toujours fait avec une autonomie importante. Il n’y a aucune raison de se rebeller et aucun ennemi étranger n’est aux portes. L’empereur reste lointain et exerce un tel pouvoir sur tant de vies qu’en dehors de la capitale, qu’il est souvent considéré comme un dieu. La plupart des gens ne le connaissent que par la publication des décrets qui affectent leur vie, par son portrait gravé sur les petites pièces de monnaie glissées dans les plis de leur cape ou grâce aux statues réalistes installées dans tous les lieux publics. Mais il y existe aussi des points chauds : des régions qui se rebellent régulièrement ou qui sont proches de la frontière avec des tribus barbares ou sauvages. Ces régions sont truffées de garnisons et de colonies militaires qui assurent le contrôle du territoire, et si cela ne fonctionne pas, l’empereur vient parfois faire lui-même une apparition.

La frontière entre les hommes libres et les esclaves est de plus en plus floue. De nombreux hommes libres sont eux-mêmes d’anciens esclaves ou des enfants d’esclaves. La valeur de la citoyenneté diminue et, à nouveau, seule la richesse rend puissant. Mais s’engager dans l’armée reste une option attrayante. La solde et les avantages habituels sont au rendez-vous, même si, de nos jours, il reste peu de terres à conquérir et que les occasions de pillage se font un peu plus rares. Une belle rébellion est une bonne occasion pour les troupes envoyées pour la mater. Aujourd’hui, ce sont les troupes elles-mêmes qui choisissent en dernier ressort l’empereur et qui représentent le plus grand risque de rébellion. Si elles estiment que le dirigeant actuel n’est pas assez généreux avec ses soldats, si elles désapprouvent sa vie privée scandaleuse ou si elles préfèrent tout simplement quelqu’un d’autre, l’armée est capable de renverser un dirigeant et d’en installer un autre. Il s’agit d’une forme de pouvoir populaire qui se combine avec l’ambition de généraux rivaux se disputant le poste le plus élevé. Ces situations peuvent conduire à des guerres civiles où des unités rivales de l’armée s’affrontent pour déterminer qui sera le prochain empereur.


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