Aventures en Korantie 6 : Les Ombres derrières le Trône 1


Développement des personnages et préparatifs de départ

À la demande de Kortano, Myrrhée et ses compagnons s’apprêtent à voyager jusqu’à Borissa. La grande cité-État a triplé ses taxes et le syndic veut savoir pourquoi. En cette fin du mois de Zolestine, ni les routes terrestres ni les routes maritimes ne sont encore ouvertes en raison de l’hiver toujours rigoureux. Les personnages en profitent pour vaquer à leurs occupations et exercer leurs compétences :

Althmir s’entraine au combat avec la milice, après une intervention spéciale de Thémiséon auprès du culte de Thortil, car Althmir n’est pas citoyen. Il poursuit également ses études magiques personnelles et apprend un nouveau sort.

Bien qu’elle soit une femme, Myrrhée a pu elle aussi s’entrainer avec la milice, grâce à l’influence de ses parents. Elle a également introduit Dalla au culte de Sabatéus et la jeune fille accompagne désormais en tant qu’observatrice les officiers de la chambre de commerce dans leurs activités quotidiennes.

Thémiséon travaille le matin avec le seigneur Skelfus sur la stratégie et la tactique, et l’après-midi perfectionne sa compétence d’armurerie avec le forgeron du domaine.

Vérénys alterne son temps entre le temple d’Orayna, où elle aide à soigner des blessés et augmente du même coup son score en Premiers Soins, et le sanctuaire de Veltis, où elle approfondit sa Dévotion, son Exhortation et son style de combat.

Les personnages apprennent également la mort de Mannun. Après avoir été amené à Thyrte, le magicien barbare a succombé à l’interrogatoire d’Aparinaon, l’acolyte du culte du Gardien. En dehors de son identité de chamane d’un clan garthari, Mannun n’a pas révélé grand-chose. Ses derniers mots furent : «  Votre monde pitoyable va s’écrouler et vous périrez avec lui. La Toile de la Mère est déjà partout et vous ne la voyez pas. Vous vénèrerez mon maitre comme le dieu qu’il sera bientôt. Le Chaos règnera et vos misérables vies iront nourrir la Tisserande. » 

Dès que le climat devient plus clément, les personnages préparent quelques provisions et partent par la route terrestre qui, bien que plus longue, est moins dangereuse que la route maritime en ce début du mois de Trigelso. Cet itinéraire conduira les personnages à faire escale à Tersippa, où Myrrhée espère prendre des nouvelles de Trimostone (voir Aventures en Korantie : session n°1 — La Malédiction de Sariniya).

Escale à Tersippa

La route menant de Thyrte à Tersippa n’est guère plus qu’un chemin de terre battue. Toutefois, rien de notable ne vient troubler la quiétude du voyage. Voyant une pyramide de Lanthrus effondrée au bord du chemin, Thémiséon descend de son cheval pour la reconstituer, se conformant ainsi aux rites korantiens du voyage. Cette prévention lui retire un niveau de fatigue.

Arrivée dans la petite cité-État, les compagnons s’installent dans une auberge décente, avant de se mettre à la recherche de Trimostone. Le riche marchand habite dans une somptueuse villa protégée par un mur d’enceinte. Ses magnifiques jardins, constellés de fontaines et de bassins, sont entretenus avec une minutie et un savoir-faire évident.

D’ailleurs, c’est sous l’ombre d’un charmant petit kiosque que Trimostone reçoit ses sauveurs (voir La Malédiction de Sariniya). Les personnages lui narrent leurs récentes aventures, en insistant sur le cas de Valsus, et s’enquièrent du climat des affaires avec Borissa. Le marchand confirme l’augmentation irréaliste des taxes, mais, en bon commerçant qu’il est, ne semble pas affecté outre mesure. Il s’inquiète plus des rumeurs de mouvements de troupes borissiennes aux environs de Vestrikina. Il fait remarquer à Myrrhée que, si Valsus est « hors-jeu », la demande en objets jekkarines ne sera plus satisfaite, et qu’une place est à prendre. Il se propose même d’être son partenaire dans cette entreprise. Toutefois, selon la morale korantienne, le commerce avec les Jekkarines sied mal aux citoyens, ceux-ci préférant que cette activité dégradante soit opérée par des métèques. Tout cela laisse Myrrhée songeuse.

Les personnages s’apprêtent à reprendre la route quand le temps tourne à l’orage. Bientôt, une véritable tempête s’abat sur Tersippa, retardant le départ du groupe, qui aura finalement lieu dans les derniers jours de Trigelso. La route, plus large, plus droite et pavée de pierres, est maintenant de bien meilleure qualité. Sur une portion de l’itinéraire, le groupe traverse même une zone curieuse, manifestement ancienne, témoignant d’une sophistication inhabituelle pour les habitants de Thyrte. Des rampes à colonnades sculptées encadrent la chaussée, des arches à demi-écroulées exhibent des bas-reliefs héroïques, des petits ponts de pierre aplanissent les aléas du terrain. Tout le monde ratant son jet en culture korantienne, personne ne comprend la nature de cette zone.

Un appel au secours

Le troisième jour d’Arribéa, la cité « rouge et noire » est en vue. Myrrhée et Althmir, qui n’ont jamais vu de cité aussi grande, écarquillent les yeux devant ces milliers bâtiments en pierre noire surmontés de toits de tuiles rouges. Thémiséon, qui a vécu à Himéla, et Vérénys, née à Borissa, sont moins impressionnés, mais restent néanmoins admiratifs devant ce symbole de la puissance et de la civilisation korantienne. Les personnages distinguent le port ainsi que le château principal, situé sur un promontoire rocheux s’élevant au-dessus des flots.

Grâce à un jet de Perception, les personnages repèrent, en contrebas de leur position, un véhicule escorté de cavaliers qui disparait quelques secondes plus tard dans un sous-bois. C’est alors que le bruit sourd d’un arbre qui s’effondre et le tumulte des cris d’alarme qui s’ensuivent mettent les personnages en alerte. Armes à la main, ils se précipitent vers le sous-bois et déboulent au milieu d’un combat. Un carrosse git renversé sur le côté, ses deux chevaux agonisant au sol, après avoir été écrasés par l’arbre. Des hommes en armures étincelantes, frappées du trident borissien, tentent de résister à l’assaut de quatre agresseurs armés de lances et de boucliers, sous le feu de tireurs embusqués dans les fourrés.

Après avoir assuré leurs montures à un arbre, les personnages se hâtent vers la mêlée. Resté à cheval, Thémiséon décide de charger un agresseur déjà engagé (l’occasion de découvrir une belle combinaison de règles encore inusitées : la charge, la surprise et le combat monté !). L’un des gardes crie aux autres « protégez la duchesse » !

Les personnages décident instantanément de prêter mainforte aux victimes de l’embuscade. Le combat est rude et Myrrhée est sérieusement blessée à un bras et à une jambe (la commerçante a bien tenté d’exhorter un miracle de protection, mais bien trop tardivement). Deux gardes ont perdu la vie et les autres sont blessés, mais les agresseurs sont défaits. Le dernier d’entre eux encore vivant se suicide en ingérant le contenu d’une petite fiole en terre cuite. En inspectant les cadavres, les personnages trouvent le signe purulent de la Mère du Chaos tatoué sur leurs torses. La passagère du carrosse est extraite du véhicule par son escorte et va s’assoir sur le tronc d’arbre. Sans conteste possible, ses habits et ses manières témoignent d’une grande noblesse.

Après quelques atermoiements, elle se présente comme étant Alynor, duchesse de Mégara, et remercie les personnages pour leur aide. Ce qu’elle dit ensuite prend les personnages complètement au dépourvu. Alynor révèle qu’elle est la sœur du roi Muyr de Borissa et qu’elle est en train de fuir pour sauver sa vie ! Depuis quelques mois, elle soupçonnait Gul-Azar, le principal conseiller du roi, de prendre le contrôle de ce dernier au moyen d’une sorcellerie quelconque et de le contraindre à agir contre sa volonté. Le roi dort peu et mal, il est somnambule et fait de longues promenades nocturnes en compagnie de son conseiller. Ce dernier ne se sépare jamais de son sceptre de jade, qui est à coup sûr un objet maléfique. Alynor a même entendu Gul-Azar commander au roi d’ordonner des mouvements de troupes près de Vestrikina, et elle a vu le roi s’exécuter ! Ce matin, la duchesse s’est décidée à confondre Gul-Azar, mais celui-ci a nié tout agissement malveillant. Alynor a commandé à la garde royale de se saisir de Gul-Azar, mais celle-ci a refusé d’obéir à ses ordres. Comprenant immédiatement l’étendue de l’emprise du conseiller, elle réunit sa garde personnelle et s’enfuit du château par un tunnel secret pour éviter son arrestation imminente.

La cité va tomber entre les mains de ce traitre, si ce n’est déjà fait, et, demain, ce sera peut-être le tour de la Korantie ! Vous êtes korantiens, vous savez vous battre et vous me semblez loyaux. Alors je vous demande de faire ce qui doit être fait : allez à Borissa et enlevez le roi hors la ville pour le soustraire à l’influence de Gul-Azar ou bien tuez ce dernier. Si vous acceptez, je vous dirais comment pénétrer dans le château et comment me recontacter. Si vous réussissez, Borissa et la Korantie tout entière vous seront reconnaissantes.

Le groupe accepte, bien que Myrrhée hésite devant la difficulté de la tâche. La duchesse explique aux personnages comment trouver le tunnel secret et Bandor, le capitaine des gardes, leur fournit quelques informations supplémentaires.

Allez voir Dagmar Brisetarge, le propriétaire du Calmar d’Eau Douce. Dagmar a combattu sous les ordres du seigneur Athanax, qui vient d’être arrêté et condamné à mort, et le moins qu’on puisse dire c’est qu’il ne porte pas Gul-Azar dans son cœur. Si vous cherchez des informations, l’homme qu’il faut rencontrer est ce gredin de Kardesh Girouette, au théâtre des Ombres.

Pendant ce temps, les gardes survivants relèvent le carrosse et enterrent les cadavres des hommes et des chevaux dans le sous-bois.

Je vous souhaite bonne chance. Je vais me mettre à l’abri. Pour entrer en contact avec moi, allez voir la sibylle Amalthée.

Quelques secondes plus tard, le carrosse ducal et ce qui reste de l’escorte disparaissent en direction de Tersippa.

Le groupe reprend la route et arrive bientôt devant les portes de la ville, devant lesquelles s’étend une longue file d’attente de marchands, de paysans et de personnages divers. Quand vient leur tour, Myrrhée explique aux gardes qu’elle vient rendre visite à son frère qui vit à Borissa. Les personnages ajoutent qu’ils viennent de subir une attaque de brigands et Myrrhée exhibe ses blessures pour appuyer ses dires. Bien sûr, ils ne révèlent rien de leur rencontre avec la duchesse, ce qui implique un jet de Tromperie opposé à la Perspicacité des gardes. Hélas, le jet échoue, et, en outre, les personnages commettent l’erreur de préciser que l’attaque s’est déroulée à seulement quelques lieues de là. Extrêmement suspicieux, le sergent de la garde place tout le groupe aux arrêts et envoie une escouade de cavaliers inspecter le lieu de l’hypothétique embuscade. Dans les cellules du poste de garde, les personnages sont effondrés en réalisant que si l’escouade déterre les cadavres des gardes royaux tombés au combat, ils auront bien du mal à échapper à une exécution sommaire.

Le destin des personnages ne tient alors plus qu’à un jet d’opposition : la Perception des gardes borissiens inspectant le lieu de l’embuscade contre la Dissimulation des gardes de la duchesse ayant enterré leurs camarades. Et les chances ne sont pas en faveur des personnages ! Miraculeusement, le résultat leur est favorable : l’escouade de la garde borissienne ne découvre que deux cadavres, et ce sont ceux des attaquants ! Après avoir noté leur lieu de résidence à Borissa, le sergent libère à regret les personnages, non sans leur avoir notifié l’interdiction de quitter la ville dans l’attente d’une enquête plus approfondie.

Une exécution publique insoutenable

Le groupe se hâte piteusement vers le Calmar d’Eau Douce. Ce faisant, il traverse l’immense place du Trident, sur laquelle plusieurs personnes s’affairent autour d’une grande estrade en bois surmontée d’un étrange dispositif. Les personnages apprennent qu’une exécution aura lieu ici même dans quelques heures.

Après avoir pris leurs chambres à l’auberge et récupéré quelque peu de leurs émotions, ils repartent en direction de la place du Trident. L’endroit est maintenant occupé par une foule compacte. Des étals proposent à vil prix des fruits et légumes moisis. « Pour les lancer sur le traitre pendant l’exécution, bien sûr ! » répond un marchand à Althmir qui l’interrogeait sur l’utilité de vendre de tels produits avariés. Les personnages craignent que l’exécution ne soit celle du seigneur Athanax.

Alors que la foule bloque la progression des personnages au niveau de l’imposante sculpture de marbre noir en forme de trident, au centre de la place, une escouade de gardes vient se positionner entre l’estrade et la foule. Bientôt, un deuxième contingent apparait, encadrant le roi Muyr et son conseiller Gul-Azar. Derrière eux, un bourreau mène un grand élan blanc sur lequel l’infortuné Athanax est attaché, nu. Le roi s’adresse à la foule avec un discours implacable. Ceux qui réussissent un jet de Coutumes (korantiennes) se rendent compte qu’un tel message de haine ouverte est très inhabituel chez un dirigeant korantien. Un jet de Perception révèle également que Gul-Azar semble marmonner pendant que le roi s’adresse à la foule. Sous les huées, le seigneur Athanax est placé dans une sorte de cage au cœur de l’étrange dispositif de fer. Après un examen plus attentif, les personnages identifient des épées assujetties à des rouages mécaniques, dont le rôle est de pousser irrémédiablement les lames à l’intérieur de la cage. Le bourreau commence d’ailleurs à actionner une petite roue de fer et, en réponse, une lame déchire la chair d’Athanax au niveau de l’épaule, provoquant un hurlement de ce dernier.

Grâce à un jet réussi de Culture (korantienne), le souvenir d’anciennes épopées refait surface dans l’esprit de Myrrhée : selon la tradition, les nobles condamnés, quel que soit leur crime, ont le droit d’absorber un élixir d’apaisement avant leur exécution. Athanax a clairement été privé de ce privilège !

Alors que les cris de douleur d’Athanax s’élèvent de l’estrade, une partie de la foule exulte et lance divers projectiles avariés dans sa direction. D’autres personnes restent silencieuses. Le roi, depuis la fin de son discours, semble se désintéresser de l’exécution.

Faisant preuve d’un courage proche de l’inconscience, les personnages décident d’intervenir pour sauver Athanax, mais la présence d’une trentaine de gardes royaux rend suicidaire toute action violente. Cependant, Thémiséon et Althmir ont d’autres atouts. Le premier fait silencieusement appel à Lanis pour qu’il disperse la magie sur Gul-Azar, le paladin estimant que le conseiller du roi marmonne une sorcellerie néfaste sur le souverain. Tout aussi silencieusement, le second incante un sortilège de fusion du fer, convenablement manipulé pour augmenter sa distance d’effet, et ciblé sur l’un des rouages de la machine infernale. Quelques instants plus tard, Gul-Azar semble observer la foule avec acuité, à la recherche de quelque chose ou de... quelqu’un. Le sortilège d’Althmir fonctionne, mais le rouage immobilisé est malheureusement celui précédemment actionné.

Déjà, le bourreau  manipule un deuxième, puis un troisième mécanisme et les lames correspondantes s’enfoncent lentement dans l’abdomen et la jambe d’Athanax, qui hurle de douleur. Les personnages comprennent qu’il n’y a rien à faire pour sauver le malheureux, qui mettra plus de 15 minutes à succomber, après que la septième et dernière lame a tangentiellement pénétré dans son cou. Une partie de la foule semble choquée par l’horrible spectacle qui vient de se dérouler sous ses yeux, certains spectateurs s’étant même évanouis sous les cris insupportables du supplicié. D’autres, en revanche, manifestent ostentatoirement leur satisfaction, avant de rentrer chez eux d’un air réjoui. Les personnages, eux, sont effondrés. « C’est un acte barbare, ce n’est pas la Korantie ! » murmure Althmir, le seul non korantien du groupe.

Une entrevue délicate  

L’horrible évènement renforce la détermination du groupe. De retour à l’auberge, Myrrhée prend son courage à deux mains et pénètre dans l’arrière-salle, à la recherche de Dagmar Brisetarge. Une discussion prudente s’amorce avec le vétéran, où chacun tente de sonder l’opinion de l’autre, en révélant le moins possible de sa propre position. Dagmar est clair sur un point : « Ce qui vient de se passer est un assassinat pur et simple. Je connais Athanax personnellement depuis longtemps, et je suis certain de sa loyauté. Je suis et resterai loyal à Borissa, mais, là, je ne comprends pas ce qui se passe. La seule chose que je sais, c’est que quelqu’un doit payer pour ce crime. »

Raisonnablement rassurés, les personnages poursuivent la discussion qui prend alors une tournure plus franche. Les personnages révèlent l’embuscade et la fuite de la duchesse, sa certitude que Gul-Azar est un sorcier qui contrôle le roi, ainsi que la présence de marques du Chaos sur la poitrine des assaillants. Dagmar apprend au groupe qu’Alynor de Mégara est la première matrone de la cité, et que sa fuite est un signal funeste pour l’ensemble des citoyens : seule une situation catastrophique peut amener une acolyte de la déesse tutélaire à fuir la cité qu’elle incarne et a juré de protéger. Dagmar se déclare prêt à agir pour venger Athanax. Si d’aventure les personnages parviennent à identifier le véritable responsable de la mort d’Athanax, et élaborent conséquemment un plan d’action pour punir le coupable et sauver le roi, Dagmar déclare qu’il sera prêt à réunir des hommes pour les aider.

Les personnages soulèvent la question des armes (ils ont laissé les leurs au poste de garde) et demandent à Dagmar comment s’en procurer.  Le vétéran affirme pouvoir leur fournir rapidement armes et équipement, mais, n’étant pas encore entièrement convaincu par leur histoire, il gardera ce matériel en lieu sûr dans l’attente d’une preuve irréfutable de la compromission du roi.

Les personnages le remercient, en se demandant par quel miracle ils pourraient trouver une preuve à même de convaincre Dagmar.

Contact avec la guilde marchande

Le lendemain, Myrrhée et Thémiséon partent à la recherche du syndic Claudius, le contact du culte de Sabatéus de Borissa recommandé par Kortano. Arrivée sur la place des dieux, Myrrhée reconnait immédiatement l’amphore et le chêne aux glands d’or, symbole du dieu du Commerce. L’entrevue est assez rapide, mais le syndic confirme l’inanité de l’augmentation des taxes, effectives depuis quelques mois, et précise que la décision vient du roi en personne. Il ajoute que les décisions politiques sont difficiles à « lire » ces derniers temps, un édit royal pouvant annuler un autre édit royal, en l’espace de quelques semaines.

Avant de partir, Myrrhée s’agenouille devant l’autel de Sabatéus et entre dans une longue prière, afin de reconstituer sa (toute nouvelle) réserve de dévotion.

À la recherche de la sibylle

Sans savoir à quoi s’attendre, les personnages décident de s’adresser à Amalthée, la sibylle de Borissa, pour obtenir des renseignements. Ils se dirigent vers son sanctuaire, non loin de la place des dieux, pour obtenir un rendez-vous avec l’une des plus célèbres devineresses de Korantie. La résidence de la sibylle est une sorte de temple, garni sur tout son pourtour d’une multitude de colonnes sculptées, derrière lesquelles un ensemble de rideaux et de draperies rouges masquent entièrement la vue intérieure. Myrrhée et Althmir écartent prudemment un pan d’étoffe, puis un autre, puis encore un autre et pénètrent dans le sanctuaire. Vérénys, peu inspirée, préfère rester à l’extérieur. Thémiséon poursuit quant à lui son chemin vers la place des dieux à la recherche d’un sanctuaire de Lanis (en effet, l’interdiction de sortie de la ville l’empêche de se rendre dans l’enclave impériale où se trouve le temple solariste).  Myrrhée et Althmir examinent l’endroit dans lequel ils viennent de pénétrer. L’espace, exigu et dépouillé, est encore enveloppé de draperies rouges de transparence variable. Le sol est pavé d’un étonnant marbre clair. Une vasque alimentée par une petite fontaine fait entendre son clapotis. Soudain, un pan de rideau s’écarte, laissant entrevoir une femme aux cheveux noirs, vêtue d’une longue robe rouge se confondant presque avec les tentures environnantes.

S’approchant des deux personnages, elle commence à tourner autour d’eux en les regardant fixement, sans prononcer le moindre mot. « Nous souhaiterions avoir une entrevue avec la sibylle », dit Althmir, sans obtenir de réponse. Une autre femme vêtue comme la première apparait et se livre au même manège.

— Regarde ma sœur, nous avons des invités, dit la seconde femme.

— Ceux-ci veulent parler à la sibylle ! intervient la première.

— Ne savent-ils donc pas que l’on ne vient pas à la sibylle, mais que la sibylle vient à vous quand le temps est venu ?

— Ceux-ci sont des étrangers, je vois l’ignorance en eux.

— Ceux-ci ont les yeux ouverts, mais ceux-ci ne voient rien.

D’un geste élégant, la première femme fait apparaitre des volutes de fumée qui emplissent la pièce et obscurcissent la vue. Les personnages reconnaissent une odeur familière d’encens. Ils prennent conscience de la présence d’une troisième femme, blonde, habillée comme les deux premières. « Nous venons de Thyrte. Si c’est de l’argent que vous voulez, nous en avons », dit Althmir pour tenter d’établir une discussion.

— Ceux-ci viennent ensemble, pourtant ceux-ci sont différents.

— Oui ! Celle-là aime l’argent et celui-ci ne l’aime pas, affirme la première femme en tournant autour de Myrrhée, puis d’Althmir, qui opine silencieusement.

— Celle-ci vient de loin, susurre la seconde en dansant autour de Myrrhée.

— Mais celui-ci vient d’encore plus loin, ajoute la seconde, en ondulant à quelques centimètres d’Althmir.

— Que veut-elle celle-ci ? Que veut-il celui-ci ? interroge successivement la troisième femme.

— Je veux convaincre un homme que je lui dis la vérité, répond Myrrhée en pensant à la preuve exigée par Dagmar.

— Je veux savoir d’où vient Gul-Azar ! ajoute Althmir.

— La vérité ! Celle-ci veut la vérité ! réagit la première femme en levant les bras vers le plafond de pierre.

— Gul-Azar, celui-ci s’intéresse à Gul-Azar ! ajoute la seconde, avec une mimique similaire.

— Celle-ci connait le prix de la vérité et celui-ci a le courage de sa curiosité, conclut la troisième, en fixant le sol.

Les trois femmes continuent leur danse hypnotique et lancinante, murmurant des paroles énigmatiques autour des personnages de plus en plus perplexes et de moins en moins rassurés. La fumée provoque sur eux un effet étrange, sans qu’ils puissent déterminer précisément lequel.

— Leur chemin est périlleux et chargé de noirceur, prédit une des femmes d'une voix douce et décalée au regard des mots prononcés.

— Mais la lumière les attend à l’arrivée ! ajoute une autre, avec une sorte d'enthousiasme exalté.

— Voyez, mes sœurs, celui-ci a quelque chose de spécial, intervient la femme blonde.

— Oui ! Je le sens moi aussi !

— Moi aussi !

Craignant les effets délétères de la fumée, Althmir suggère d’un regard à Myrrhée qu’il est temps de quitter les lieux. La commerçante acquiesce. D’un geste, ils écartent une draperie, puis une autre, et, à leur grand soulagement, se retrouvent à l’air libre. Marqués par cette expérience, ils peinent à tenir debout. Vérénys leur adresse un regard interrogateur et, devant leur silence, demande : « alors, vous l’avez eu ce rendez-vous avec la femme folle ? »

Au cœur du théâtre des Ombres

Ayant récupéré l’adresse de l’établissement, les personnages font route vers le théâtre des Ombres. Situé au cœur de la basse-ville, le discret bâtiment de trois étages ne paie pas de mine. L’entrée est obstruée par un rideau. Alors qu’Althmir tente de pénétrer à l’intérieur, un gaillard patibulaire lui barre le passage en proclamant que le spectacle ne commencera qu’en fin d’après-midi. Les personnages repartent et profitent du contretemps pour casser la croute dans une cantine de rue située à proximité. Ils engagent la conversation avec un lascar semblant lui aussi en train de déjeuner. La discussion s’avère bien peu intéressante et les personnages voient avec soulagement l’individu quitter la table peu après. Quelques instants plus tard, Myrrhée s’aperçoit que sa ceinture a elle aussi été soulagée d’une bourse de 50 pièces d’argent. Mais le bougre est déjà loin.

En fin d’après-midi, les personnages retournent au théâtre et, cette fois, sont admis à l’intérieur. On les fait assoir à une petite table du rez-de-chaussée, dans une salle sombre, exigüe et visiblement peu entretenue. Devant eux se trouve une scène de taille modeste surmontée d’un grand cadre de bois à la peinture écaillée. À la table d’à côté, un individu ventripotent est avachi devant un gobelet à moitié vide. Une dizaine de minutes passent dans cette ambiance sordide, sans que personne vienne s’enquérir des personnages. Enfin, un homme s’adresse à eux :

— Messieurs, Mesdames, vous êtes venu pour le spectacle ? Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ?

— On peut boire quelque chose ?

— Bien sûr !

Tout le monde commande une bière, puis assiste au spectacle d’ombres assabiennes, vaguement distrayant au début, mais qui se révèle vite particulièrement ennuyeux (même si Althmir, qui ne connaissait aucune des épopées korantiennes présentées, semble avoir réellement apprécié). Dans le fond de la petite salle, un jeune homme roux, assis avec nonchalance dans une alcôve, joue continuellement le même air sur son flutiau. Après une heure de ce régime assommant, le serveur revient.

— Vous avez apprécié le spectacle ?

— Oui ! mentent les personnages sauf Althmir.

— Autre chose vous ferait-il plaisir ?

— Il faut voir. Que peut-on avoir ?

— Et bien ici, sachez que nous pouvons satisfaire tous les plaisirs.

Persuadés que l’endroit est un bordel, les personnages mandatent Thémiséon pour « tester » ces fameux plaisirs et tenter de récolter des renseignements utiles. Alors qu’il suit le serveur, les trois autres décident de rester l’attendre dans la salle, la suite du spectacle venant d’être annoncée. En fait de suite, les personnages ont droit à une resucée encore plus fastidieuse de la première heure. De son côté, Thémiséon se voit proposer un choix entre luxure, jeu ou drogues, et choisit le jeu. Il est conduit au sous-sol, dans une grande salle qui n’a rien de commun avec celle du rez-de-chaussée. Richement décorée, elle fourmille d’activité : ici des joueurs de dominos, là des amateurs d’osselets, là encore des gaillards s’adonnant au jeu du poignard, et bien d’autres divertissements encore, plus ou moins légaux. Sur toutes les tables, des piles de pièces d’argent passent d’une main à une autre. Thémiséon prend place à la table des dominos et, ne possédant aucune compétence liée à ce jeu, commence à perdre son argent à un rythme soutenu. Cependant, un jet de Perception lui fait remarquer un individu confortablement installé dans une sorte de petit salon incurvé et qui semble focaliser une certaine activité. Cinq ou six personnes se sont déjà présentées à lui, lui laissant parfois un objet ou un coffret. Prenant son courage à deux mains, il s’avance vers l’obscure alcôve semi-circulaire et demande :

— Monsieur Girouette ? Kardesh Girouette ?

— Où tu vas, toi ? intervient un garde du corps surgi de nulle part qui se plante devant Thémiséon. Si tu veux voir monsieur Girouette, tu dois payer ! C’est 50 pa pour 5 minutes d’entrevue.

Thémiséon s’acquitte de la somme et prend place à côté du dénommé Girouette. Celui-ci se présente comme un courtier en information : « J’achète et je vend des informations dignes d’intérêt », précise-t-il. Une discussion tout aussi fructueuse qu’onéreuse s’engage entre les deux hommes. Pour 30 pa, Thémiséon apprend que Gul-Azar est d’origine thennaltaise et qu’il a passé plusieurs années en Assabie, avant de revenir à Borissa pour gravir les échelons du pouvoir jusqu’au conseil de la cité. Peu de temps après, il entre au service du premier archonte Muyr, comme conseiller personnel, et le reste après que Muyr s’est proclamé roi. Pour 30 pa de plus, Girouette ajoute que Gul-Azar a progressivement remplacé une bonne partie des gardes royaux par des gens venus de l’extérieur, et que ceux-ci lui sont fidèles personnellement. Pour 100 pa, Girouette révèle également que, depuis quatre ou cinq mois, des gens disparaissent dans les rues de la ville et qu’on ne les revoit plus jamais. Une calèche noire est aperçue presque chaque fois dans les environs immédiats des enlèvements et elle est toujours accompagnée d’une étrange odeur doucereuse, à la fois sucrée et moisie. Kardesh Girouette précise qu’il ne sait pas ce que deviennent ces personnes (il ne croit pas à des esclavagistes) et qu’il paierait cher pour le savoir.


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